La Suisse confrontée à des risques de pénurie de médicaments essentiels et à l’impact des taxes américaines
Environ 700 médicaments sont actuellement en rupture ou en difficulté d’approvisionnement en Suisse. Parmi eux figurent des traitements essentiels comme certains antibiotiques et antidouleurs, selon des estimations relayées par des experts en pharmacie. Cette situation met en évidence une problématique structurelle autour de la dépendance de l’industrie pharmaceutique mondiale.
Une double menace entre tensions commerciales et dépendance extérieure
Outre les pénuries déjà constatées, la Suisse pourrait également être confrontée à la pression des droits de douane de 250% imposés par les États-Unis sur les médicaments en provenance du pays. Selon Nam Trung Nguyen, directeur Pharma & Medtech du cabinet de conseil Atreus à Munich, cette barrière douanière représente un défi important, mais la dépendance de l’industrie pharmaceutique envers les fournisseurs situés en Chine et en Inde poserait un enjeu plus critique à long terme.
Les projets des géants pharmaceutiques suisses
Les entreprises Roche et Novartis ont déjà annoncé des investissements de plusieurs milliards de dollars pour renforcer leur production aux États-Unis. Novartis envisage même de fabriquer l’intégralité de ses médicaments stratégiques directement sur le sol américain. Cette évolution pourrait réduire certains risques liés aux tensions commerciales, tout en préservant l’activité de recherche et développement, qui devrait continuer à être menée majoritairement en Suisse.
Le rôle central des principes actifs
La production d’un médicament ne représente qu’une faible part de son prix total, l’essentiel des coûts étant consacré à la recherche. Toutefois, la fabrication dépend de matières premières pharmaceutiques appelées principes actifs. Une grande partie de ceux-ci provient d’Asie : la Chine fournirait à elle seule environ 45% de la production mondiale d’antibiotiques, voire jusqu’à 80 à 90% selon certaines estimations. Cette concentration de la production rend le système de santé international particulièrement vulnérable à la moindre perturbation industrielle ou géopolitique.
Une vulnérabilité stratégique
Un incident de production ou une décision politique en Asie pourrait ainsi générer des ruptures rapides en Europe. L’expert souligne que Pékin a déjà utilisé des restrictions d’exportation dans d’autres secteurs, comme celui des terres rares lors d’un différend commercial avec Washington. La même stratégie pourrait théoriquement être appliquée aux principes actifs pharmaceutiques.
Des pistes de diversification
Pour réduire cette dépendance, l’installation de nouveaux sites de production de principes actifs dans des régions stables et attractives, telles que les Balkans, est présentée comme une option. De tels projets demanderaient cependant une mise en place sur plusieurs décennies, entre 10 et 20 ans. Selon Nam Trung Nguyen, il en va de la sécurité d’approvisionnement et, in fine, de la santé publique.
Conséquences possibles pour l’économie suisse
Le secteur pharmaceutique représente environ 50’000 emplois en Suisse, dont 10’000 dans la seule production. L’application de taxes douanières et la relocalisation potentielle d’activités pourraient avoir un impact sur l’emploi et les recettes fiscales. Si certains analystes, comme l’économiste de la santé Heinz Locher, estiment que la Suisse restera compétitive grâce à sa stabilité politique et à son environnement économique favorable, d’autres, à l’instar du conseiller national Olivier Feller (PLR/VD), soulignent les risques de pertes d’emplois, de compétences et de revenus fiscaux en cas de délocalisation vers les États-Unis.
Un appel à une stratégie industrielle adaptée
Olivier Feller plaide pour l’adoption d’une politique industrielle pragmatique afin de soutenir l’attractivité du secteur en Suisse. Parmi les solutions évoquées, figurent notamment des ajustements sur le plan fiscal, comme une révision de l’impôt minimum de l’OCDE. Il met toutefois en garde contre une approche consistant à s’en remettre uniquement au marché sans action politique ciblée.
Au croisement des enjeux de santé publique et de stratégie économique, la question du futur de l’industrie pharmaceutique suisse reste donc ouverte, avec des décisions qui pourraient peser sur l’accès aux médicaments, la recherche et l’emploi dans le pays.